Et voici les prémices de mon roman: LA PETITE DUCHESSE
Certaines histoires parcourent les âges avant de tomber de l’oubli, une fois leurs protagonistes défunts et oubliés à leur tour. Il en est une qu’une vieille femme n’a jamais oublié, la portant dans son cœur toute sa vie, se la remémorant souvent pour ne pas en omettre les détails si petits fussent-ils. Elle sent à présent que sa vieillesse lui fait défaut et sa mémoire lui jouant parfois des tours, elle s’oblige à y repenser de plus en plus fréquemment. La vieille a désormais la vue trouble et le corps meurtri par les rhumatismes, mais jamais elle n’émet la moindre plainte. Sa maison est simple et sans superflu, elle ne connait pas encore cette merveille qui a fait son apparition dans les grandes villes, l’électricité. Dans sa campagne verdoyante elle est restée figée dans son époque qui parait maintenant révolue et dont les jeunes gens se moquent parce qu’ils ne la comprennent pas. La vieille Manon sait bien pourtant que le monde tourne sans elle mais elle ne peut s’empêcher de repenser au passé sans quelques regrets pour la bienséance et l’ordre qui y régnait.
Elle regarde à présent sa petite fille qui dort profondément dans un lit avec un matelas convenable et un oreiller garni de plumes d’oies, et elle se dit qu’elle ne connait pas sa chance. Point de grand malheur pour les jeunes gens d’aujourd’hui car tous peuvent aspirer à de grandes choses puisque tout est désormais possible.
Emma a douze ans et vient passer chaque été avec sa grand-mère dans le calme et la tranquillité, non loin d’Orléans. La petite Emma adore sa grand-mère avec qui elle partage de nombreux secrets et mêmes certains que sa propre maman ne connait pas ; c’est pour ça qu’elle l’aime bien sa Mamima comme elle l’appelle, car elle a l’impression que Mamima est dans un autre temps, surtout quand elle la voit passer de longues heures devant la tombe de Papi sans avoir l’air de s’ennuyer.
Et la vieille Manon se dit qu’après tout elle n’en a peut-être plus pour si longtemps à vivre désormais car ses os ont l’air de se disloquer dans son corps et elle souffre vraiment de plus en plus. Elle regarde Emma en se rappelant ce que la petite lui avait confié la veille ; elle souhaitait devenir une femme de lettres. Nul doute que dans ce siècle du progrès ce serait possible, et Manon avait réfléchi toute la nuit à cela, que son histoire ferait sans doute un bon roman. Cela l’effrayait un peu du moins, elle n’avait pas raconté cette histoire depuis si longtemps et surtout, elle avait peur qu’Emma ne soit pas intéressée du début à la fin. Pourtant plus la nuit avait passée, plus Manon se disait qu’elle ne pouvait emporter cela dans sa tombe, pas plus qu’elle ne pouvait l’écrire car contrairement à sa petite fille, elle savait à peine écrire son nom.
Emma s’éveilla doucement, dans la torpeur du petit matin après un sommeil lourd dont seuls les enfants ont le secret.
« Bonjour Mamima .»
Emma lui fit un grand sourire et la regarda ensuite d’une façon étrange.
« Dis-moi Mamima, quelque chose ne va pas ? Tu as l’air comme soucieuse. »
Manon la regarda tendrement comme seules les grand-mères savent le faire, et passa sa main dans les cheveux dorés de sa petite fille, les mêmes cheveux que son grand-père.
« Je ne suis pas soucieuse ma petite, je réfléchissais. Je me rappelais d’une histoire et je me demandais si j’allais te la raconter… ou pas!»
Emma écarquilla les yeux.
« Oh Mamima ! Raconte-moi j’adore les histoires, tu le sais bien ! »
« Oui mais celle-ci est longue et je ne voudrais pas t’ennuyer. »
Emma s’assit sur son lit et serra vivement sa grand-mère dans les bras en lui disant :
« Mamima, nous avons toutes les vacances devant nous, nous avons bien le temps. Faisons comme si le temps était terrible, allumons le feu dans la cheminée, tu t’assiéras dans le grand fauteuil et moi je resterai à t’écouter sur le tapis de laine. Je suis sûre que ce sera bien. C’est une histoire que tu m’as déjà raconté ? »
« Non ma petite, lui répondit-elle, c’est une histoire que j’ai vécu lorsque j’étais bien plus jeune, dans une autre époque, une histoire qui a commencée avant même que je connaisse ton grand-père, dans d’autres temps. Une histoire à la fois cruelle et sincère, sur l’amour et la haine et qui je crois, ferait un bon livre. »
Manon en terminant sa phrase eut un éclair de malice car elle en avait dit bien assez pour faire naître de l’intérêt chez Emma qui passait son temps à écrire et noircir tous les cahiers qui tombaient sous sa main espiègle.
Alors la grand-mère et la petite fille s’installèrent devant la cheminée, Manon fit un grand feu de bois pour réchauffer l’atmosphère, et pris soin d’apporter une tasse de lait chaud avec du miel à sa petite fille qui brûlait d’impatience de connaître cette histoire, certaine de pouvoir en retranscrire les grandes lignes dans un de ses nouveaux cahiers que sa mère lui avait acheté pour les vacances. Emma se pelotonna sous une couverture et enfin Mamima commença son récit …
« J’avais dix-neuf ans lorsque je suis entrée pour la première fois sur le domaine des Savigny. Maintenant le château a perdu de sa splendeur mais autrefois, la famille Savigny possédait toutes les terres autour de Pairagut. Je venais en ce lieu un peu effrayée à l’idée de rencontrer des gens d’une autre classe sociale mais je n’avais pas le choix car je venais de perdre ma maman et j’avais deux petites sœurs trop jeunes pour travailler. Mes sœurs furent placées en orphelinat et je dû me débrouiller pour subvenir d’une part à ma propre existence mais aussi pour garantit un avenir décent à mes sœurs. J’avais entendu dire au village que la duchesse de Savigny cherchait une nouvelle bonne et je décidai donc de tenter ma chance. C’est ainsi que commence l’histoire de la petite Duchesse… »
